Son bras lui faisait mal. Une douleur tenace et imprévisible, tantôt brûlure, tantôt déchirure.
C'était bien la dernière fois qu'il abandonnerait sa chair au fil d'une épée. Il fouilla la petite pièce, sans lumière, et avec un seul bras valide, la tache s'avérait plus ardue que prévu.
Sa main reconnu une chandelle qu'il alluma à l'aide d'une allumette soufrée, sa dernière.
Les ténèbres reculèrent.
Au sol, un vieux drap maculé. Etait-ce du sang ?...était-ce le sien ? N'en ayant cure, il déchira une bande dans les haillons souillés, et garrotta son bras. Le geyser tarit.
Sans prendre plus de précautions, terrassé par la fatigue et la douleur, il s'étendit sur ce qui, autrefois, aurait pu être de la paille.
Il s'interrogeait.
Comment...comment ?! et pourquoi en était-il arrivé à cela ?!
Devait-il regretter ? une continuation sans vagues de son autre vie aurait été plus facile, sans doute.
Les regrets...
Marquis ! son titre, son surnom, sa fortune...en ce seul mot, il pouvait tout résumer de cet autre lui.
Le passé...
Son père, riche bourgeois lyonnais, avait épousé pour son titre une Marquise sans fortune destinée à devenir la mère de notre blessé. Lui, fils unique de cet hymen, avait été éduqué comme le préconisait Rabelais. Dans la curiosité de toutes les choses peuplant le monde, dans la rigueur scientifique, la lecture de toutes les œuvres, et si possible dans leurs langues originelles, et aussi dans l'étude de l'infinité céleste.
Le père n'avait de cesse d'étaler cette éducation soignée, et onéreuse, qui selon lui était la seule digne de son fils.
Le petit marquis grandit, il devient un grand et beau jeune-homme. Doué en affaire, d'une exquise compagnie, il faisait le bonheur des dames et des financiers de son père. Ce dernier, ayant besoin de nouveaux contacts à la cour, résolu d'envoyer son fils à Paris. Si son charme était irrésistible...il le fallait rentable.
Il s'établit donc à la cour. En quelques mois, le « Marquis » était devenu la coqueluche de tous.
Poète, peintre, philosophe, esthète, il se transformait à volonté, en homme d'affaire avisé, en politicien sage, en stratège posé...
En nouvelle et humble idole, il échangeait ses idées avec tous, ne portant jamais atteinte aux pensés d'autrui...mais tout de même capable d'imposer les siennes. En enlevant quelques fils, en rajoutant d'autres...il retissait les idéologies les plus tenaces pour les faire pareilles à la sienne.
La Rumeur...
Deux ans après son établissement à la cour, les rumeurs étaient à leur apogée. Plus une conversation ne pouvait les éviter.
Un certain Luther, un moine, allemand. Se rebellant contre l'autorité du Pape s'était vu excommunié en 1517.
Malgré cela, il avait fondé sa propre secte. De cette nouvelle fantaisie religieuse on ne voulait rien savoir. Ceux que l'on avait nommés les protestants étaient à présent disséminés partout en Europe. Leur nombre sans cesse croissant inquiétait... et on commençait à les traquer, pour rassurer l'opinion.
La religion n'était pas le point fort du Marquis. Il lui préférait sans contestes l'étude et les affaires.
La clef...
Ce fut pendant cette période troublée qu'arriva le « Duc ». Il était allemand, et pour cela, devint « la dernière nouveauté à la mode ». De partout, les invitations affluaient. L'ex-idole incontestée dû renoncer à certains de ses privilèges, contraint de les partager avec ce nouveau venu.
Seulement, le Duc lui aussi s'avéra être, au même titre que notre Marquis, un fin tisserand de la pensée humaine.
La jalousie du Marquis se transforma en curiosité. Une sorte de fascination toute scientifique, qui l'obligeât à oublier ses préjugés sur son rival. Ils en vinrent même à des relations bien établies de franche amitié, un duo inséparable.
Deux ans passèrent.
Un jour qu'ils prenaient ensemble la fraîcheur des jardins royaux, le Duc invita son ami à dîner. Face au premier re fus du Marquis, il déploya des trésors de persuasion...ce dernier, conquit ne pouvait plus qu'accepter.
Le jour prévu, l'invité se présenta chez son hôte. Il s'attendait à être reçu de manière princière. Il n'en fut rien !
A peine la porte fut-elle fermé que l'obscurité s'abattit sur son esprit. En même temps que le coup sur sa tête...
Ce fut dans une pièce sombre et délabrée, que la puanteur et la crasse enveloppaient, qu'il retrouva le Duc.
Il ne l'avait pas tout de suite reconnu, tant son ami semblait transformé. De tous ses vêtements somptueux, ils ne subsistait qu'une bure austère. De son sourire, une cicatrice semblant à jamais refermée. Du feu dans ses yeux, une lueur de démence...
Puis, ce nouveau Duc commença à parler. Il était en réalité l'un des premiers disciples de ce fameux Luther...un révérant.
Il commença à parler de son maître. Un saint. Tous lui rendraient un jour hommage, à cet homme, à ce génie qui avait su voir les faiblesses et les dérives d'une religion condamnée à bientôt devenir obsolète. Une hiérarchie corrompue, et oublieuse de Dieu ,allant même jusqu'à lui préférer tous ces saints trop nombreux. Le tout sous le joug d'un chef selon lui condamné à la damnation.
Mais son maître, dans sa sage clairvoyance savait lui, comment accéder au paradis... La foi ! seule la foi en dieu, le père, le fils et l'esprit saint, devait être la préoccupation des ecclésiastiques.
La Réforme ! cette machine de guerre religieuse convertirait le monde entier. Puisque les chrétiens étaient devenus païens, ce serait maintenant aux protestants de montrer le chemin du paradis à toutes ces brebis égarées.
Ils avaient besoin d'hommes comme lui. Ce don, cette beauté dans l'utilisation du langage était un cadeau de Dieu. Et ce serait sans doute grâce à ce présent que le Marquis pourrait se hisser aux rangs des plus grands.
Il n'aurait qu'à parler. Il serait le berger, le roi tout puissant de ce monde en perdition...
La chute...
Profusion des mots, merveilleuse mélodie des sons... insinuations dans la mécanique de sa pensé...le Marquis succomba.
Durant un an, il délaissa ces sciences si chères à son cœur, pour réapprendre tout de ce qu'il savait. Le Duc, donc, pendant un an fut son professeur, et sa drogue. Le plongeant dans un délire religieux poussé à l'extrême, tuant peu à peu l'esprit mais rendant chaque choses plus belles, plus fascinantes et enivrantes, en les montrant déformées et bariolées. De cette ivresse prolongée, le Marquis sortit transformé. Il avait appris, à la manière du Duc, à paraître le jour, et à être la nuit.
Cette nuit sombre glacée, à limage de ce que devenait son cœur, quand au crépuscule, il devenait « Le Révérant ».
Si le Duc se chargeait de convaincre les hautes sphères, la prestance du Révérant sciait mieux à la populace. Il impressionnait par sa carrure, son humilité et sa simplicité ! de plus, il prenait un malin plaisir à se déguiser. Certains le disaient ancien moine, d'autres boucher, sabotier même bourreau... ce mystère séduisait.
Chaque soir, des quatre coins de Paris affluait une foule de plus en plus grande. Le secret des réunions du révérant n'était plus un secret. Il était de notoriété publique que, dès la tombée du jour, aux prémices de la nuit, il rejoignait les catacombes. C'était là disait-il, là que s'étaient enfoncés les chrétiens, eux et toutes leurs idées, destinées seulement à duper le petit pour assouvir les désirs des plus grands. Mais ce sera aussi de là qu'ils sortiraient tous, sages des erreurs de leurs prédécesseurs. Car la seule monnaie capable d'acheter le paradis, n'était pas les promesses des prêtres corrompus, mais la foi. Cette foi pure et immaculée qu'ils donneraient bientôt au monde.
L'offre...
Trop de troubles découlaient de ces réunions clandestines. Les protestants étaient de plus en plus pourchassés à travers l'Europe...
Le destin du Révérant fut scellé le jour ou , sur tous les murs de la ville, fut placardée une affiche offrant pour la tête d'un seul homme, une somme capable de faire tourner celles de tout un peuple.
Le Présent...
Il en était là aujourd'hui. Mais, il n'avait pas été trahit par ceux qu'il avait fascinés. Il tenait ce peuple bien en main et tous ou presque, même s'ils n'étaient pas convertis, lui étaient au moins fidèles. Le croyant l'un des leur ils ne le trahiraient pas.
Il était en plein sermon quand les soldats avaient déboulés, certains même étaient embusqués dans l'assistance.
« Attrapez le .»
cet ordre donné de la bouche du nouveau capitaine de la garde, le Marquis ne le compris pas tout de suite.
La trahison...
L'annonce avait également été diffusée à la cour.
Une véritable fortune ! et...qui tombait à pic !
Certains ayant malencontreusement perdu de petites fortunes. L'embrigadement coûtait cher.
Pressé de servir son roi, un jeune noble à la réputation bien établie se proposa d'arrêter le dissident.
L'épilogue...
Il ne pouvait se trouver qu'ici dans la salle sombre et puante des anciennes catacombes de Paris. Lieu de toutes les histoires effrayantes, de tous les fantasmes populaires. Ce lieu moisi, pourri, irrévocablement gâté par l'humanité. La place unique, seule capable d'accueillir en son sein la victime de la folie de sa race.
Il allait l'achever comme une bête, un rebus, sa victime, sa folie...son ami
La Douleur ultime...
Son bras lui faisait mal. Une douleur tenace et imprévisible, tantôt brûlure, tantôt déchirure.
C'était bien la dernière fois qu'il abandonnerait sa chair au fil d'une épée.
Des pas résonnaient dans les corridors endormis qui menaient jusqu'à la pièce. Ces pas, ses pas...
La porte grinça,
le bois racla le sol,
la lampe brillait,
les pas avancèrent,
les ténèbres avancèrent,
un éclair de lumière,
la lumière sur la lame,
du rouge encore,
la nuit toujours,
le feu dans ses yeux...
La douleur ultime... son bras ne lui fait plus mal.